L’importance du groupe


Sans être sociologue, il ne nous est pas interdit de dire qu’il n’y a pas de société qui ne se soit fondée sur une vie sociale et donc constituée de groupes. Même la famille nucléaire, c’est à dire le groupe réduit parent-enfant, est dans notre société la forme la plus fréquente de ce qu’on peut appeler un « groupe », impliquant dans ce cas un vivre ensemble. Et même les célibataires ont bien souvent un certain nombre d’amis ! Et que dire de la mode actuelle des colocations, covoiturage, copropriété…

Penser et vivre pour soi ? Sans partager ? Sans se confronter à la pensée de l’autre ? Est-ce épanouissant ?

Souvent, à domicile, une personne âgée dépendante et plus spécifiquement une personne Alzheimer devient au fur et à mesure de l’évolution de sa maladie, moins impliquée dans un groupe et donc moins sollicitée :

  • du fait aussi du rétrécissement de son réseau social naturel (moins de voisins, décès des amis intimes, éloignement des familles…)
  • du fait de l’éventuelle difficulté pour autrui de lui rendre visite : parce qu’elle n’est plus tout à fait celle que l’on connaissait, parce qu’elle nous confronte à notre propre risque de développer une maladie
  • du fait de ses troubles, elle est moins conviée à échanger, à se balader…

Il faut le dire, la personne Alzheimer peut présenter moins d’attrait et perdre alors son rôle, sa place, un lieu où elle puisse s’exprimer. Certes, ces besoins de relations sociales, d’échange, de complicité, d’actions communes ne sont pas exprimés par la personne. Et pourtant ils sont bien présents et c’est à nous (professionnels) d’y répondre. Cela peut être hors de leur réseau habituel que les personnes Alzheimer se dévoileront et nous pensons véritablement qu’un lieu de soin spécifique est propice à leur offrir une réponse adaptée.

Au sein d’un lieu de soin, les professionnels sont formés à mobiliser avec pertinence ces personnes et à favoriser les rencontres, recréant un nouveau réseau social. C’est dans ces lieux que le groupe devient source d’épanouissement, un véritable moment thérapeutique. En dépit de leurs difficultés cognitives, les personnes Alzheimer se révèlent alors pleines de vie, d’énergie, de désirs.

Contrairement aux idées convenues, pour une personne Alzheimer, il n’y a pas un fossé monumental, un écart total entre le domicile et l’institution. La vie en groupe est un mode de vie qui nous est familier. La vie en groupe, même sous la forme d’un groupe en centre de jour ou en unité de vie, est un modèle qui ne nous est pas étranger, auquel nous sommes habitués.

En institution, il se vit en alternance des moments longs de vie en groupe comme le temps d’un repas, d’une belote, d’une lecture, d’une animation, d’un atelier mais aussi des moments courts de rencontre tout au long de la journée dans les couloirs, dans les chambres, dans les salons. A domicile, cela s’apparente à une visite chez la voisine, à un bonjour échangé lors d’une promenade, à la concierge qui emmène le journal ou à l’intervention de l’aide à domicile. Quand les troubles cognitifs engendrent une modification de ces multiples échanges au quotidien, vouloir garder une vie à domicile serait nier l’existence de besoins spécifiques liés à la maladie et aux dépendances induites.


     Louise, parisienne de longue date, est accueillie un jour d’été au sein d’une unité de vie Alzheimer (elle est alors à un stade modéré de la maladie). Accompagnée de son fils, ils semblent tous deux désemparés et afin de pallier à ce changement d’environnement, le fils avait préparé une liste de ce qui lui paraissait nécessaire à connaître pour accueillir sa mère :

  • elle doit manger seule en chambre au moins le soir (« c’est une solitaire »)
  • il faut la confronter le moins possible au groupe de la salle à manger
  • éviter les animations habituelles des maisons de retraite : chant, danse, jeux de société
  • privilégier les émissions de télé : questions pour un champion, des chiffres et des lettres…
  • ne jamais lui enlever sa perruque et lui faire une toilette furtive (« elle n’aime pas qu’on la touche »)
  • ne lui donner qu’un seul type de dessert et suivre la liste d’aliments privilégiés

Dès le lendemain après-midi, seule dans sa chambre, Louise dit à l’aide soignante venue lui proposer une boisson : « j’entends des personnes chanter, j’aimerais voir ce qui se passe ». Nullement désemparée à la vision d’un groupe de personnes occupé à retrouver la mélodie de chants de leur époque, elle s’assoit et participe.

Le soir, elle s’étonne de ne pas avoir le même dessert que ses voisines de table et exprime le souhait de se faire des amis.

Quelques matins plus tard, devant l’état assez désastreux de sa perruque, il lui est proposé de la retirer. Elle accepte et ne se sent pas dévalorisée en se regardant dans le miroir. Elle reconnaîtra plus tard qu’elle est beaucoup mieux sans.

Comme prévu, petit à petit, elle se fait des amis et surtout une amie élective. Elles seront inséparables, participeront à la plupart des activités et Françoise se révèlera pleine d’attention en apportant tendresse et humour à sa nouvelle amie.

Le fils reconnaîtra qu’il voit en sa mère une autre femme, plus ouverte, plus sociable, plus tolérante. Et en même temps, c’est bien elle qu’il retrouve, avec son humour, une certaine répartie, une grande politesse, fidèle dans ses amitiés et toujours aussi aimante avec lui, son fils unique.


     Le groupe a des effets marquant sur l’humeur, apporte une certaine joie de vivre, créée des liens forts, mobilise les affects et la cognition. Cet effet du groupe, découvert initialement lors de groupes de paroles, nous a tellement marqué que ça a été aussi la base de la création volontaire et affirmée des futurs ateliers de mobilisation cognitive et d’animations diverses adaptées que les professionnels proposent dans les Unités de Vie Alzheimer des EHPAD.